Radio J : La chronique hebdo de Simone Rodan-Benzaquen dans le Grand Journal du 9 Septembre 2022. Thème : "Hommage à la Reine Elisabeth II"
J’avais prévu de faire ma chronique sur l’Ukraine mais il m’est difficile de ne pas parler de la reine Élisabeth aujourd’hui, surtout que j'ai vécu 6 ans en Angleterre et que je suis particulièrement attachée à ce pays et à sa culture.
Le décès de Sa Majesté la Reine est un une perte immense pour le Commonwealth mais aussi pour le monde entier !
La Reine était profondément aimée par des millions de personnes, qui avaient d’ailleurs montré leur profond attachement pour elle et pour ce qu'elle représentait lorsqu'elles sont venues par centaines de milliers l'acclamer lors des célébrations de son jubilé de platine au début de cette année.
Ce n'est pas seulement parce que son règne a duré 70 ans, le plus long de l'histoire du pays, ce n’est pas non plus uniquement parce qu’elle a démontré un sens du devoir et du dévouement hors du commun pour le Royaume, que tout le monde est si profondément affecté. C'est aussi et surtout parce que la Reine Elisabeth était la constante, le centre de la nation, qu’elle incarnait une force stabilisatrice.
Dans son message, le Grand Rabbin d’Angleterre l’a parfaitement exprimé: "La Reine incarnait les valeurs les plus nobles de la société britannique…dans un monde en constante évolution, elle était un roc de stabilité et un champion des valeurs intemporelles."
Finalement jamais ces qualités qu'elle incarnait n'ont été aussi nécessaires qu'aujourd'hui. Et il est impossible de ne pas sentir que sa disparition ne marque pas seulement la perte d'un monarque, d’une serviteur de l’état et d'une grande âme, mais aussi la perte d'une idée de la Grande-Bretagne que nous nous faisons, et celle qui appartient peut-être à une autre époque - une Grande-Bretagne de force et de résilience, une Grande-Bretagne de retenue et de pragmatisme, une Grande-Bretagne qui incarne profondément la démocratie libérale et les valeurs de courage et de leadership dans un monde devenu de nouveau dangereux et hasardeux.
La réalité est que le Royaume Uni n’a jamais été aussi divisé, n’a jamais été aussi marqué par le populisme, par l’antisémitisme et l’islamisme.
Les chiffres des derniers sondages sont sans appel: Un tiers des jeunes britanniques croient dans les théories du complot antisémites, tandis que le décompte des actes antisémites en 2022 fait état d’une des plus importantes hausses de l’histoire.
De plus en plus, nous voyons l'antisémitisme, la xénophobie et le racisme être interprétés comme des cris passionnés des opprimés contre ce qu’ils perçoivent être une « société faussement démocratique ». L'antisémitisme est visible dans la résurgence d'une gauche post-stalinienne, plus clairement dans la faction de Jérémy Corbyn et ses soutiens. La xénophobie et le racisme sont aussi des éléments importants du mélange émotionnel au sein des mouvements du Brexit tout comme l’est l'antisémitisme.
Le populisme d’extrême droite, de gauche et même l’islamisme sont des mouvements pré-totalitaires, au sens décrit par Hannah Arendt. Ils se définissent avant tout par une critique ultra-radicale de tout ce qui existe et un appétit immédiat de tout démolir et recommencer, comme si rien de ce qui existe n'avait de valeur et comme si nous n'avions rien à perdre.
Avec la mort de la Reine Elisabeth, nous pleurons aussi un peu de voir disparaître cette force qui nous semblait éternelle et si protectrice.