Mon inquiétude pour la relation entre Israël et la diaspora

Vous l’avez évoqué avec ma collègue Julie Decroix la semaine dernière sur votre antenne, l’AJC vient de tenir son Global Forum, sa grande conférence annuelle, pour la première fois à Tel-Aviv. Je ne vais pas revenir sur l’intégralité de l’évènement, mais plutôt vous parler de l’un des sujets clés que nous avons abordé tout au long de la conférence :  les relations entre Israël et la diaspora. 

Les relations entre Israël et la diaspora n’ont jamais été statiques mais au moment où la société israélienne vit une crise profonde, le sujet devient crucial. D’un côté, la pression sécuritaire qui pèse sur Israël est très lourde. Le pays continue d’être menacé par le terrorisme et l’Iran. Lorsqu’il a pris la parole au Global Forum, l’un des leaders de l’opposition et ancien ministre de la Défense, Gantz, a clairement dit qu’Israël n’a probablement jamais été aussi proche de devoir mener des actions pour stopper l’Iran. 

Et puis, de l’autre côté, et c’est le deuxième défi, la société israélienne est en proie à des grands questionnements internes, autour de la notion d’un état juif et démocratique, de la nature même de ce qu’est et ce que doit être Israël, avec des manifestations qui durent depuis de nombreuses semaines. 

Nous avons eu la chance de réunir des représentants de communautés juives, notamment d’Europe, de très nombreux pays : Autriche, Belgique, République tchèque, Allemagne, France, Grèce, Royaume-Uni, Ukraine et j’en passe. Tous ont parlé de l’angoisse que cette crise représente pour eux. Que se passe-t-il si Israël restreint soudainement les règles du droit de retour ? Que se passe-t-il si Israël devient soudainement une démocratie illibérale ?  Que se passe-t-il si Israël devient non plus l’état de toutes ses composantes du peuple juif mais d’une vision certaine du judaïsme ? Et quel est l’impact sur la cohésion au sein même des communautés juives et l’impact sur l’antisémitisme déjà très présent en Europe ? 

Je suis inquiète, mais comme le disait Golda Meir : « Le pessimisme est un luxe qu'un juif ne peut jamais se permettre. » Et il est vrai qu'une partie de moi voit ce qui se passe comme une opportunité pour entamer un tout nouveau dialogue : à la fois à l'intérieur même d'Israël, qui ne s’est jamais vraiment questionné depuis sa création, et entre les Juifs de la diaspora et Israël.

Lorsque j'entends mes amis en Israël me dire qu'ils envisagent pour la première fois d'obtenir un passeport européen, ou qu'ils ont le sentiment de ne plus savoir s'ils sont chez eux, cela me brise bien sûr le cœur. C'est fou de se dire que le rêve sioniste semble s'inverser. Mais en même temps, je me rends compte que pour la première fois depuis la création de l'État d'Israël, les deux identités, à la fois diasporiques et israéliennes, se ressemblent dans leur incertitude, dans leur incomplétude, et cela est fondamentalement juif. 

Je pense donc que nous avons une formidable opportunité, en tant que peuple juif tout entier, d'engager une conversation que nous n'avons pas eue depuis la fondation de l'État d'Israël. Comment pouvons-nous apprendre les uns des autres ? Quel est le rôle de chacun et comment pouvons-nous nous compléter mutuellement ?

Le rôle des communautés juives en Europe est unique, car très souvent les Juifs européens sont les premiers à faire l'expérience des tendances sociologiques. Nous aurons donc notre mot à dire. 

En hébreu, conversation veut dire "shiach", et j'ai récemment appris que cela a la même racine que "meshiach". Sans être messianique, il y a peut-être quelque chose à explorer ici.