Présidentielles: mais où est passé le monde?
Tribune de Simone Rodan-Benzaquen, publiée le 20 avril dans le Huffington Post
Nous vivons dans un monde en pleine évolution qui doit faire face à des questions cruciales quant à son avenir. La donne géopolitique est probablement en train d’être refaite. Quelles seront les relations entre l’orient et l’occident, entre l’est et l’ouest, le nord et le sud? Quel est l’avenir du modèle de démocratie libérale qui nous est si cher ? Y-aura-t-il, comme l’avait prédit Huntington un « clash des civilisations? Quel sera le rôle des Etats Unis, le rôle de la Chine, le rôle des différents pays émergents comme le Brésil et l’Inde et surtout celui de l’Europe?
C’est dans ce contexte complexe que les élections présidentielles françaises auront lieu. Probablement jamais sous la Vème République la vision de la politique étrangère d’un futur président de la République n’aura eu autant d’importance pour l’avenir de son pays et du rôle que ce dernier jouera dans le monde. L’élection d’un nouveau président constitue une occasion politique rare de relancer une dynamique, de reformuler et de clarifier une ambition de politique étrangère. Le prochain Président français devra être porteur d’un message clair pour la France. Il se devra de choisir le processus décisionnel selon lequel ce message sera défini. La formulation d’une politique étrangère impose à la fois d’émettre des positions précises quant aux grands dossiers en cours et définir une ligne d’ensemble. Lorsqu’il s’agit d’une nation qui dispose d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies et qui entend exercer les responsabilités que ce statut international lui confère, ces questions deviennent d’autant plus cruciales.
Chacun l’aura compris: la vision que les candidats à l’élection présidentielle auront du monde et du rôle que la France y jouera est déterminant.
Et pourtant dans cette période trouble, force est de constater qu’à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, les questions internationales sont presque totalement absentes du débat de la campagne politique française.
A juste titre la dette, la crise, le pouvoir d’achat, l’emploi, l’immigration, la sécurité et l’éducation sont au premier plan. Personne ne peut remettre en cause les incertitudes auxquelles la population française fait face et les difficultés dans lesquelles une grande partie d’entre elle se trouve. Les sondages font état du pessimisme qui habite les Français quant à leur avenir et leur angoisse quant au rôle que l’Europe, la finance et la mondialisation joueront dans leurs vies. Cette peur se traduit par une attirance pour les extrêmes, entrainant un repli sur soi. Mais n’est-ce pas le rôle de celui qui prétend vouloir diriger le pays, d’avoir une perspective plus ouverte et de parler de sa vision du monde et du rôle que la France y jouera?
Il se peut également que les calculs des candidats jouent un rôle déterminant dans l’absence de débat autour des questions internationales. Selon une idée reçue, confirmée par les différents experts politiques, analystes et sondeurs, l’Elysée ne se gagne jamais sur le terrain de la politique étrangère; en d’autres termes: les français ne s’y intéressent pas.
Mais l’absence quasi-totale d’un débat sur ce que sera la politique étrangère de la France a de quoi nous inquiéter.
Le prochain président français devra traiter de nombreux sujets internationaux qui détermineront à la fois l’état du monde et de manière plus précise leur impact sur la France elle-même. Je voudrais ici n’en nommer que deux d’entre eux, mais tant d’autres existent:
– Le premier est le « printemps arabe » par exemple, qui doit nous concerner tous. Après tant d’années de relations biaisées entre l’occident et le monde arabe, les différentes révolutions qui ont bousculé ce dernier ont prouvé que l’espoir de liberté s’offre à tous les peuples. Les révolutions ont eu lieu car les populations étaient en recherche de démocratie, de respect des droits fondamentaux et voulaient se débarrasser de la corruption et de l’incapacité de ces régimes à fournir du travail et nourriture aux peuples. Ces évènements ont allumé une flamme de d’espoir. Espoir du partage d’idées et de projets avec le reste du monde. Si la France se montre indifférente à cette réalité, d’autres acteurs prendront la place qui lui est réservée. Oui, la France est une grande nation, oui la France a historiquement un rôle important dans la diplomatie mondiale et oui il est du devoir des candidats à la future élection présidentielle que d’affirmer, réaffirmer ce rôle. Effectivement, le soutien de radicaux shiites et sunnites apporté aux islamistes dans les pays qui ont connu ces révolutions devrait nous alerter et nous montrer à quel point il est du devoir de la France d’être présent aux cotés des démocrates et d’avoir une position claire sans la moindre ambiguïté : la protection des droits de l’Homme, le respect des droits des femmes et des minorités religieuses et ethniques. Nous ne pouvons pas prétendre que cela ne nous concerne pas.
– Le deuxième sujet concerne l’Iran. Pendant qu’un débat majeur se déroule partout dans le monde et particulièrement aux Etats-Uni, les candidats à la présidentielle française se sont trop peu exprimés sur cette question. Pourtant le sujet et les questions qui en découlent sont vastes. Non seulement l’Iran viole les droits de l’Homme et fait tout ce qui est en son pouvoir pour saper les efforts de paix au Proche-Orient. En se mêlant dans les affaires internes d’autres pays, en soutenant des organisations terroristes et en menaçant à plusieurs reprises la destruction d’un autre état membre de l’ONU, Israël, l’Iran devient un agitateur de conflits pour installer lui-même une hégémonie au Proche Orient. La question du nucléaire devient alors pour Israël, mais également pour le reste du monde une question cruciale. Le contentieux est connu. L’Iran, signataire du traité de non-prolifération nucléaire, a le droit d’accéder à un « usage pacifique » de l’énergie nucléaire. Or, depuis 2006, la République islamique poursuit des activités d’enrichissement d’uranium, au mépris des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et des décisions de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui soupçonnent ces recherches d’être entreprises à des fins militaires. Il ne fait guère de doute, que Téhéran veut se doter de l’arme atomique. En novembre 2011 encore, l’AIEA a remis son rapport, le plus accablant depuis 2006. Ce rapport contenant de nombreux indices qui laissent à penser à la fabrication d’une ogive nucléaire, ainsi que de l’existence en Iran d’un site adapté aux test de l’arme atomique. Depuis janvier 2012 l’Iran s’est mis à enrichir de l’uranium sur le site de Fordow, site que le régime cherchait à dissimuler jusqu’à ce que les Occidentaux le découvrent en 2009.
La forte pression internationale exercée sur la République islamique – qu’il s’agisse des sanctions financières ou de l’embargo pétrolier mis en place depuis quelques mois – vise, à convaincre Téhéran d’infléchir son attitude périlleuse dans une région aussi instable. Reste à trouver la bonne solution. Comment y parvenir ? Les réponses sont multiples et compliquées. Mais elles doivent être posées, analysées et débattues. Comment une question aussi cruciale pour l’avenir de la région et du Monde peut-elle être absente du débat de l’élection présidentielle française ?
La campagne à l’élection présidentielle française offre une tribune sans précédent au futur Président français, mais surtout à l’ensemble des courants, points de vue et idées politiques. Quel dommage qu’aucun des candidats ne se serve de cette période exceptionnelle pour illustrer sa vision du monde. Le rôle de la France a souvent été celui de précurseur et cela surtout en politique étrangère.