De Dieudonné à Kanye West

Ces dernières semaines, il était difficile de passer à côté de la polémique autour du rappeur américain Kanye West ou Ye, comme il s’appelle maintenant, suite de différents tweets et propos antisémites.

Après avoir évoqué les supposées motivations financières de Jared Kuchner, le genre de Donald Trump, qui est juif- pour avoir encouragé les accords d’Abraham, Kanye West a continué dans sa diatribe antisémite en disant, notamment qu’il préférait que ses enfants célèbrent Hanoukah plutôt qu’une autre fête, car cette dernière pouvait leur apporter une “ingénierie financière”, il a aussi blâmé à plusieurs reprises les "médias juifs" et les "sionistes juifs" pour de nombreux méfaits présumés, déclarant que "les juifs ont possédé la voix des Noirs" et que "la communauté juive, en particulier dans l'industrie de la musique... allait « nous prendre et nous traire jusqu'à ce que nous mourions". Le coup final est arrivé quand il a tweeté vouloir faire « death con 3 » sur les Juifs - en référence au code utilisé par les militaires américains pour une opération imminente.

Je trouve que tout cela a une résonance particulière en France. Comme souvent en matière d’antisémitisme, il est frappant de voir à quel point la France semble avoir été - là encore - à « l’avant-garde » et je pense en disant cela notamment à Dieudonné. Car dans les deux cas, ce sont deux icônes du spectacle, dans les deux cas il y a un discours victimaire dangereux, notamment en s’adressant à la fois à l’extrême droite et à la communauté noire et dans les deux cas il est surtout frappant de voir que nombreux sont ceux qui semblent avoir des difficultés à identifier l’antisémitisme auquel on assiste. Pourtant les choses ne pourraient pas être plus claires: Kanye West et Dieudonné tous deux véhiculent des préjugés anti-juifs liés à l’argent et à une supposée intention de nuire, à contrôler et à manipuler.

Il est ensuite également frappant de constater le rôle joué par les réseaux sociaux est primordial. Dieudonné, notamment avec Alain Soral, avait parfaitement compris que le web était son principal outil de propagation d’idées. N’oublions pas que le site « Égalité et Réconciliation » était devenu le premier site politique en ligne et que la chaîne YouTube de Dieudonné avait des millions de visiteurs. De son côté Kanye West, après s’être vu interdire l’accès à Twitter et Instagram, a décidé de racheter pour plusieurs millions de dollars le réseau social de droite « Parlour », un moyen pour lui de continuer à diffuser ses idées.

Mais le point le plus important en termes de ressemblance, me semble-t-il, sont les réactions à ces propos, ou plutôt sa relative absence. En France, au moment du sketch “Israël Heil”, il était inimaginable pour beaucoup que Dieudonné, un homme noir qui avait formé un duo avec un autre humoriste juif puisse être antisémite. La nature antisémite du sketch avait été minimisée, argumentée par certains de ses amis du showbiz et on a opposé l’argument de la liberté d’expression d’un artiste dans chaque conversation. Dans le cas de Kanye West, on parle de maladie mentale et bien sûr le même argument de la « liberté d’expression » est toujours avancé.

La réalité triste est que je ne suis pas certaine que nous continuerions à avoir des débats sur la nature de ses propos et à donner la parole à des gens comme Kanye et avant lui Dieudonné, s’ils avaient tenu des propos racistes ou homophobes. En France, il a fallu près d’une décennie et le travail acharné du ministre de l’intérieur de l’époque, Manuel Valls - qui a décidé d’interdire ses spectacles pour incitation à la haine et danger pour l’ordre public - pour que la plupart des Français réalisent enfin que ce à quoi nous étions confrontés n’était tout simplement pas acceptable.

Le fait que Kanye West continue d’être invité partout dans les médias pour lui-même réagir aux réactions suite à ses propos montre une certaine confusion dans la compréhension du phénomène antisémite et de la façon dont nous devons avons du mal à lutter contre cela.

Le minimum serait peut-être au moins de ne pas d’encourager voire de récompenser la parole antisémite en continuant de lui offrir des tribunes.