À l’Eurovision, la majorité populaire a exprimé son rejet de la haine viscérale contre Israël
FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour Simone Rodan-Benzaquen, directrice de l’American Jewish Committee, les violentes réactions suscitées par la participation d’Eden Golan sont symptomatiques d’un antisémitisme croissant depuis le 7 octobre, dont la ville de Malmö, organisatrice de l’émission, est à l’avant-garde.
L'Eurovision est - enfin - terminée. L'émission aura passionné l'Europe et même le monde (les votes étant cette fois-ci ouverts au monde entier). Comme les belles histoires, elle se termine bien mais il s'agit de tirer les leçons.
Le candidat Suisse Nemo et son tube «The code» ont remporté le trophée, la performance de Slimane a été époustouflante et digne et l'Ukraine et Israël sont dans le top 5 grâce au vote du public.
La participation de la jeune candidate israélienne, Eden Golan, avait suscité une vague de - très vives - réactions, révélant les fractures profondes dans nos sociétés et surtout une haine et une violence envers Israël, le sionisme et souvent par extension aussi les Juifs.
Dès décembre dernier, l'association islandaise des compositeurs et paroliers avait appelé à boycotter l'Eurovision si Israël n'était pas exclu. En réponse, l'Union Européenne de Radio-télévision (UER), organisatrice de l'Eurovision, a insisté sur le fait que le concours doit demeurer un événement apolitique destiné à unir les publics à travers la musique. Cette affirmation a été mise à l'épreuve quand la première chanson d'Eden, «Pluie d'octobre», jugée trop politique en raison de son allusion au massacre du 7 octobre par le Hamas, a nécessité des remaniements significatifs et un changement de titre pour «Hurricane».
Une fois les préparations commencées à Malmö, rien n'a pu arrêter les appels au boycott et le déversement de haine. Des huées et hurlements pendant la prestation de Eden Golan, aux graffitis «from the river to the sea» arborant fièrement des drapeaux israéliens affublés de croix gammées, aux foules de milliers de personnes scandant «Nous écraserons le sionisme» et «Il n'y a qu'une seule solution, “Intifada Révolution”», faisant référence au soulèvement violent qui a coûté la vie à des milliers d'Israéliens.
Les candidats des Pays Bas - suspendu de la compétition pour un incident - et de la Grèce ont fait part d'une hostilité a peine voilée envers la candidate israélienne de 20 ans.
La présence de Greta Thunberg aux manifestations dans les rues de Malmö a ajouté un symbole supplémentaire. La militante suédoise pour l'environnement, - ayant basculé vers ce que l'ultragauche nomme le combat intersectionnel - avait déjà assimilé la lutte pour l'environnement au combat contre les «systèmes d'oppression coloniaux, racistes et patriarcaux». L'intersectionnalité, visant à unifier diverses luttes, de l'antiracisme à l'antisexisme, en passant par l'environnement et la lutte contre la transphobie est souvent marquée par une revanche identitaire, une obsession de la victimisation et un hyperindividualisme. Dans cet esprit, l'ennemi de leur ennemi est leur allié. C'est ainsi que le sionisme est devenu le mal absolu à combattre: les Juifs en «Uber blancs» contre les Palestiniens en opprimés par excellence, même si cela signifie marcher aux côtés d'organisations terroristes ou islamistes et cibler des synagogues et des concitoyens juifs lors des manifestations de soutien à la Palestine.
Autre symbole: la ville de Malmö. Des journalistes israéliens venus en repérage avant le concours avaient été confrontés à des insultes et des agressions, et Eden Golan craignant pour sa sécurité, a été confinée dans son hôtel cerné par les foules haineuses. Malmö est depuis longtemps tristement célèbre pour son antisémitisme. Dans cette ville, l'antisémitisme islamiste a supplanté la forme traditionnelle d'extrême droite, bien que cette dernière persiste encore. En 2012, une explosion avait frappé le centre communautaire juif local et, en 2009, des cocktails Molotov avaient été lancés sur le funérarium juif de la ville pendant les émeutes de la Coupe Davis, quand des milliers de manifestants anti-israéliens étaient descendus dans les rues, provoquant des attaques physiques et verbales contre les Juifs de la ville et les forces de l'ordre. La ville s'est progressivement vidée de sa petite communauté juive, illustrant la rhétorique désormais évidente: l'antisionisme finit toujours par ostraciser ou même évincer les Juifs.
Enfin, le dernier symbole, cette fois-ci plutôt encourageant: le soutien massif du public pour Eden, qui lui a permis d'être en tête des votes de 15 pays européens (dont l'Angleterre, la France et la Belgique) ainsi que du «reste du monde». Elle a pu ainsi remonter de la douzième à la cinquième place affichant 375 points (dont 323 attribués par le public).
Si les jurys ont été plutôt timorés quand au fait de voter pour la candidate israélienne, la majorité des Européens et même des spectateurs ailleurs dans le monde ont eux exprimé leur soutien à ce qui semble désormais évident: malgré le bruit des manifestations et les tentatives d'intimidation, ce rejet viscéral d'Israel - victime d'un pogrom il y a 7 mois dont l'ignominie n'est plus à démontrer - est nauséabond.
C'est cette majorité silencieuse qui a pu s'exprimer et qui devra à l'avenir s'exprimer davantage afin d'ostraciser les pourvoyeurs de haine plutôt que qu'une communauté toujours otage. Malgré elle.